L’arrêt commenté intervenant dans un contexte politique particulier, permet tout de même de revenir sur le régime applicable aux sociétés de droit commun instituées par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC). Il n’est pas inintéressant de rappeler sur les faits et la procédure à partir desquels la cour d’appel de Limoges fait une interprétation très intéressante des dispositions applicables en matière de sociétés d’avocats.
Rappelons les faits : un avocat constitue une EURL d’avocat et sollicite son inscription auprès du barreau de Limoges. Sa demande est rejetée par arrêté du conseil de l’Ordre en date du 11 juillet 2018 au visa de l’article 6 alinéa 2 du décret du 25 mars 1993 (N° Lexbase : L4321A4S), au motif que les statuts ne sont pas conformes aux dispositions de l’article 8 alinéa 3 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) prévoyant que toute société doit comprendre parmi ses associés au moins un avocat remplissant les conditions requises pour exercer l’activité.
En effet, il était reproché aux statuts de l’EURL prévoyant, en cas de décès de l’associé unique, une «poursuite de plein droit de la société entre ses ayants droit ou héritiers, ou éventuellement son conjoint survivant». Or, il était relevé par le conseil de l’Ordre que ni les enfants, ni l’épouse de l’avocat n’exerçant pas la profession, le décès de l’avocat ou la dissolution de la communauté entre les époux entraînerait «ipso facto la fin de la société unipersonnelle et devrait conduire à une saisine du conseil de l’Ordre pour une mise en conformité des statuts conformément aux dispositions de l’article 8 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993, n’est pas évoqué dans les statuts».
La société d’avocat interjette appel de la décision sollicitant de la cour qu’elle annule la délibération du conseil de l’Ordre, dise que les statuts de l’EURL sont conformes aux dispositions législatives et règlementaires et ordonne l’inscription de l’EURL au tableau de l’Ordre des avocats au barreau de Limoges.
Il faut rappeler pour comprendre le caractère éminemment politique de la portée de la décision qu’elle intervient dans un contexte particulier. En effet, il s’agissait de l’inscription d’une société d’avocat du réseau «AGN» avec lequel le barreau limougeaud était en conflit depuis plus d’un an.
Cela étant posé, il semble néanmoins que la cour vient rappeler des principes essentiels en matière de sociétés d’avocats et prend par là même le parti de clarifier un certain nombre de règles en matière de sociétés de droit commun d’avocats.
Il importe pour le comprendre de reprendre les arguments exposés par les parties au soutien de leurs prétentions. L’EURL d’avocat indiquait que la délibération du conseil de l’Ordre violait l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme (N° Lexbase : L7558AIR) relevant que ces dispositions s’appliquait en matière disciplinaire des professions règlementées lorsque le conseil statue en tant qu’autorité administrative. Or, il semblerait qu’après la demande d’inscription, l’associé unique de l’EURL ait été convoqué par le conseil de l’Ordre au visa de l’article 3 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993 relatif aux sociétés d’exercice libéral prévoyant une inscription au tableau de l’Ordre d’au moins un associé de la société dont il était sollicité l’inscription.
Finalement la décision du conseil se serait fondée sur l’article 8 alinéa 3 de la loi du 31 décembre 1971, comme rappelé cidessus pour refuser l’inscription de l’EURL. Or, l’associé unique de l’EURL n’aurait pas été mis en mesure de d’y répondre, ce moyen nouveau n’ayant pas été porté à sa connaissance.
En réponse, le Conseil répliquait quant à lui que «la procédure d’inscription au barreau régie par les articles 102 et 103 du 27 novembre 1991 se distingue de la procédure disciplinaire» et qu’aucun texte n’oblige le Conseil à préciser à «l’impétrant qu’il peut se faire assister d’un conseil».
La cour rejette purement et simplement cette dernière argumentation, ce qui invite le lecteur une fois rappelé les principes essentiels de la procédure disciplinaire, à se replonger dans les origines de la loi «Croissance» et la volonté du législateur à l’époque.
S’agissant des principes essentiels, la cour rappelle sans ambiguïté que l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme qui dispose que toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, s’applique «lorsqu’une règlementation subordonne à certaines conditions l’exercice d’une profession et que la régularité de la procédure qui est suivie se prête à un recours judiciaire portant sur un droit à caractère civil».
Elle en conclut, inévitablement, que cette exigence s’applique aux décisions du conseil de l’Ordre et rappelle, à cette occasion, que l’article 103 du décret du 27 novembre 1991 prévoit qu’aucun refus d’inscription ne peut être prononcé tant que l’avocat n’a pas été entendu ou appelé dans un délai d’au moins huit jours.
Il était rappelé que l’avocat n’avait pas été convoqué au visa de l’article 6 alinéa 2 du décret du 25 mars 1993 en vertu duquel la décision avait été prononcée, mais au visa de l’article 3 de ce même texte.
Même si la décision du conseil de l’Ordre n’a pas été rendue au visa de cet article il mérite que l’on s’y arrête tant il paraît contre intuitif à une profession dont l’ADN a été bouleversé par les dispositions de la loi «Croissance».
Rappelons que cet article dispose que « La société d’exercice libéral est constituée sous la condition suspensive de son inscription au barreau établi auprès du tribunal de grande instance dans le ressort duquel est fixé le siège de la société et au tableau duquel est inscrit l’un au moins des associés exerçant au sein de la société ».
Notons que cette disposition est relative aux sociétés d’exercice libéral, or le décret d’application relatif aux sociétés de droit commun n° 2016-882 du 29 juin 2016 renvoie une partie du régime juridique de ces sociétés à celui des SEL, l’obligation d’inscription d’au moins un associé n’est pas reprise.
Cette absence de transposition implique que peut-être inscrite au tableau d’un barreau une société sans aucun avocat ne soit personnellement inscrit. Cette disposition est tellement en contradiction avec les normes qui ont gouvernées la profession jusqu’alors, qu’énoncée ainsi elle choque toujours.
Mais telle était bien la volonté du législateur de libérer les inscriptions de société d’avocats ceci allant de pair avec la fin de l’exclusivité d’exercice. Un avocat pouvant depuis la loi «Croissance» et les décrets d’application, s’inscrire dans autant de barreaux et exercer sous autant de forme qu’il le souhaite. Cela étant le législateur aux intentions louables a oublié de traiter tout un pan pratique de notre profession que ces nouvelles règles bouleversent.
En effet dans ces conditions quid de l’assurance responsabilité civile professionnelle qui dans nombre de barreaux est appelée via les cotisations personnelles des avocats inscrits ? Quidégalement des compte CARPA ouverts au nom de chacun des associés ?
Ces questions sont issues de la pratique puisque s’agissant des textes régissant les assurances par exemple, aucun ne prévoit expressément une assurance des seuls associés inscrits. Il faut donc mettre en garde les barreaux afin qu’en cas de demande d’inscription d’une société de droit commun au tableau sans avocat inscrit, une vérification du contrat d’assurance souscrit par le barreau soit faite afin qu’il garantisse bien la responsabilité de tous les avocats exerçant dans la société peu important leur lieu d’inscription.
Pour le maniement de fonds la pratique des CARPA est d’ouvrir un sous-compte par associé inscrit au barreau, dans le cadre de ces sociétés de droit commun sans avocat inscrit, la question peut légitimement être posée de leur capacité, dans ces conditions, de pouvoir manier des fonds.
Autant de questions pratiques que le législateur n’a pas réglées, il appartient aux avocats de s’en saisir et d’adapter les pratiques en se félicitant peut-être que, pour une fois, le législateur n’ait pas décidé pour la profession et qui lui appartient d’être inventive.
Revenant à l’arrêt commenté, il importe de se pencher sur les motivations défnitives de la décision du conseil dont il était relevé appel. Comme indiqué plus avant, le conseil avait finalement fondé sa décision au visa de l’article 6 alinéa 2 du décret du 25 mars 1993, au motif que les statuts ne seraient pas conformes aux dispositions de l’article 8 alinéa 3 de la loi du 31 décembre 1971 prévoyant que toute société doit comprendre parmi ses associés au moins un avocat remplissant les conditions requises pour exercer l’activité.
Or, il est rappelé que les statuts de l’EURL prévoyaient en cas de décès de l’associé unique la « poursuite de plein droit de la société entre ses ayants droit ou héritiers, ou éventuellement son conjoint survivant», ce alors que ni ses héritiers, ni son conjoint n’exerçait la profession d’avocat. Le conseil indiquant qu’en cas de survenance de l’un de ces évènements, la société serait automatiquement dissoute et le conseil de l’Ordre saisi.
La cour rappelle les dispositions de l’article 5 de la loi du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales (N° Lexbase : L3046AIN) soumises à un statut législatif ou règlementaire, tel que modi2é par l’article 67 de la loi «Croissance» qui précisent que :
-sous réserve de dispositions autorisant, dans certaines hypothèses, la détention majoritaire du capital et des droits de votes de sociétés d’exercice libéral à des professionnels non exerçants, le principe était que plus de la moitié du capital social et des droits de vote de ces sociétés devait être détenu, directement ou indirectement, par l’intermédiaire de professionnels en exercice au sein de la société et que ;
-dans l’hypothèse où cette condition cesserait d’être remplie, «la société dispose d’un délai d’un an pour se mettre en conformité avec les dispositions de la présente loi. A défaut, tout intéressé peut demander en justice la dissolution de la société» [1] .
La cour en déduit que «la survenance de tels évènements [dissolution de la communauté entre époux ou décès de l’associé exerçant]n’entraînerait pas ipso facto la disparition de la société et que les dispositions qui viennent d’être citées de l’article 5 de la loi du 31 décembre 1990 et de l’article 8 du décret du 25 mars 1993 viendraient alors à s’appliquer [c’est-à-dire délai de régularisation d’un an], sans qu’aucune obligation n’ait lieu d’être faite de les rappeler dans les statuts de la société ».
Il convient de s’arrêter un instant sur cette motivation car il semblerait que la cour ait fait une interprétation libérale des dispositions relatives aux sociétés de droit commun. En effet, le décret d’application relatif aux sociétés de droit commun n° 2016-882 du 29 juin 2016 (N° Lexbase : L1248K94) renvoie une partie du régime juridique de ces sociétés à celui des SEL, mais à la lecture du texte, force est de constater qu’il n’est pas fait référence aux dispositions de l’article 5 de la loi du 31 décembre 1990.
Faut-il en déduire qu’il n’est pas applicable ? Rien n’est moins sûr car le décret ne fait référence à aucune disposition de nature à règlementer la détention capitalistique des sociétés de droit commun, il ne faudrait pas en déduire que cette détention est totalement libre. C’est probablement dans cet esprit que la cour a fait application de l’article 5 de la loi du 31 décembre 1990. La question reste, néanmoins, en suspens et c’est avec intérêt que l’on prendra connaissance de la jurisprudence à suivre sur le sujet.
source : Lexbase avocats n°282 du 28 mars 2019 : Avocats/Statut social et fiscal