L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 décembre 2018 nous permet de revenir sur les règles applicables en matière de retrait d’associés, source de conflits importants qui ont permis de faire évoluer la pratique des professionnels de la matière, finalement consacrée par le législateur.
Revenons sur les faits : une avocate associée d’un cabinet d’avocats constitué sous la forme d’une société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) et d’une société de participations financières de professions libérales (SPFPL) également constituée sous la forme d’une SELARL a annoncé son souhait de se retirer. Le délégué du Bâtonnier est saisi par l’associée retrayante d’une demande de règlement d’un différend l’opposant à ses associés et portant sur les conditions dans lesquelles elle entendait se retirer.
Le délégué du Bâtonnier a autorisé le retrait des sociétés et désigné un expert afin de fournir tous les éléments permettant de déterminer «la valeur de la participation de Mme W au capital des deux sociétés».
Cette décision a été confirmée par la cour d’appel qui a justifié sa position en relevant que le retrait était nécessaire puisqu’il allait permettre à l’associée retrayante «de ne plus travailler dans les deux structures dont elle était personnellement associée aux seules fins d’exercer son activité d’avocat et, d’autre part, d’assurer cette activité libérale dans le cadre d’une autre structure, en vertu de la liberté d’établissement».
C’est donc les conditions d’exercice futur de l’associée retrayante qui ont motivé la décision de la cour d’appel alors qu’elle avait pourtant relevé que les dispositions de l’article 1869 du Code civil (N° Lexbase : L2066AB7) n’étaient pas applicables et que les statuts ne prévoyaient pas des conditions de retrait.
L’arrêt commenté du 12 décembre 2018 rappelle opportunément que «le contrat de société, à l’instar des autres conventions légalement formées, tient lieu de loi à ceux qui l’ont fait et ne peut être révoqué que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise ; qu’à défaut de dispositions spéciales ou de stipulations statutaires le prévoyant, un associé ne peut décider unilatéralement de se retirer de la société, ni obtenir qu’une décision de justice autorise son retrait».
Il est intéressant de noter à titre liminaire que la Cour de cassation rend cette décision au visa de l’article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) dans sa version applicable aux faits de l’espèce c’est-à-dire avant la réforme du Code issue de l’ordonnance du 10 février 2016 (ordonnance n° 2016-131 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations N° Lexbase : L4857KYK).
Cette décision intervient également avant le décret du 29 juin 2016 (décret n° 2016-878 relatif à l’exercice de la profession d’avocat sous forme de société d’exercice libéral et aux sociétés de participations financières de profession libérale d’avocats N° Lexbase : L1249K97) qui abroge l’article 20 du décret du 25 mars 1993 (décret n° 93-492 pris pour l’application à la profession d’avocat de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé N° Lexbase : L4321A4S) qui prévoyait «qu’un avocat exerçant au sein d’une société d’exercice libéral ne peut exercer sa profession à titre individuel, en qualité de membre d’une autre société, quelle qu’en soit la forme, ou en qualité d’avocat salarié».
Ainsi nous verrons que les arguments développés par l’associée retrayante qui avaient trait à liberté d’exercice de la profession d’avocat et la liberté d’établissement ne pourraient semble-t-il plus prospérer sous cette même forme.
Pour être complet, notons enfin que la Cour qui relève que le retrait permettrait à l’associée «de ne plus travailler dans les deux structures dont elle était personnellement associée» fait une erreur d’appréciation puisque rappelons que les SPFPL ne sont pas des sociétés d’exercice mais dont l’objet social se borne à la détention de parts ou d’actions de sociétés d’exercice notamment .
Ces précisions apportées, il n’est pas inutile de rappeler les mécanismes du droit de retrait et les raisons qui ont amenées le délégué du Bâtonnier et la cour d’appel à retenir les arguments de la retrayante. Ces réflexions nous conduisent à faire un état des textes actuels et proposer des solutions pour éviter les conflits dans un contexte législatif qui a profondément modifié l’exercice de la profession d’avocat.
L’arrêt commenté et la motivation des juridictions de première instance et d’appel n’est pas sans rappeler les mécanismes de droit de retrait applicable en matière de société civile professionnelle (SCP). Celui-ci trouvait son fondement légal dans les dispositions de l’article 18 de la loi du 29 novembre 1966 (loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles N° Lexbase : L3146AID) qui prévoient qu’ «un associé peut se retirer de la société, soit qu’il cède ses parts sociales, soit que la société lui rembourse la valeur de ses parts». Le droit au retrait en matière de SCP est d’ordre public et a nourrit nombre de conflits d’associés.
En effet, ce droit avait été consacré à une époque où les praticiens constituaient un cabinet et sauf évènement exceptionnel, y exerçait leur activité durant toute leur carrière. Les carrières des avocats et leur mode d’exercice évoluant, cette stabilité dans le «partnership» des cabinets a été conduite à se modifier également.
C’est ainsi que nous avons assisté à des retraits d’associés continuant d’exercer leur activité dans le cadre d’une autre structure mais ayant emporté leur clientèle, désorganisant au passage le cabinet dans lequel ils avaient été associés parfois pendant de nombreuses années.
C’est cet effet pervers qui a été dénoncé par de nombreux praticiens de la matière comme ne correspondant pas la réalité économique d’un cabinet d’avocats. Le nœud du problème est bien entendu financier puisqu’au visa de l’article 1869 du Code civil et de l’article 18 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966, les associés retrayants sollicitaient le remboursement du prix de leurs parts sociales dans lequel ils intégraient la valorisation de la clientèle qu’ils allaient eux-mêmes continuer d’exploiter dans le cadre d’une nouvelle structure.
C’est ainsi qu’est intervenue la loi du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées (loi n° 2011-331 N° Lexbase : L8851IPI) modifiant l’article 10 de la loi n° 66- 879 du 29 novembre 1966 relative aux SCP en la complétant par deux aliénas ainsi rédigés :
«Les statuts peuvent, à l’unanimité des associés, fixer les principes et les modalités applicables à la détermination de la valeur des parts sociales.Sauf dispositions contraires du décret particulier à chaque profession, la valeur des parts sociales prend en considération une valeur représentative de la clientèle civile. Toutefois, à l’unanimité des associés, les statuts peuvent exclure cette valeur représentative de la clientèle civile de la valorisation des parts sociales».
Depuis lors, les associés de SCP peuvent, à l’unanimité, exclure de la valeur des parts sociales, la valorisation de la clientèle. C’est ainsi que les professionnels de la matière ont commencé à rédiger des statuts proposant des clauses dites de «good» et «bad leaver» calquées sur la pratique des sociétés commerciales. Intégrant la valorisation de la clientèle pour les «good leaver», essentiellement les cas dans lesquels la clientèle ne suivrait pas l’associé et pour lesquels la solidarité entre associés devait prévaloir : le départ à la retraite, l’incapacité, le décès. A l’inverse des «bad leaver» pour lesquels la valeur des parts n’intègrerait pas la clientèle, essentiellement des hypothèses où l’associé exploiterait son activité dans le cadre d’une autre structure, mais aussi pourquoi pas, les hypothèses dans lesquelles l’associé est empêché d’exercer à la suite d’une sanction disciplinaire.
Ces évolutions législatives appelées de leurs vœux par les avocats ont conduites les praticiens de la matière à avoir une approche beaucoup plus pragmatique du départ d’un associé en intégrant des règles de sorties dans les statuts.
Ces précisions apportées, il convient de revenir à l’arrêt commenté. En l’espèce, il semblerait que les juridictions du premier degré et d’appel aient traité le cas de l’associée retrayante comme elles l’auraient fait dans le cadre d’une SCP et ce, nonobstant l’absence de «droit au retrait» dans le cadre d’une société commerciale ou société d’exercice libéral.
Le départ volontaire d’un associé dans le cadre d’une société commerciale ou société d’exercice libéral n’est pas évoqué et aucun droit au retrait n’est consacré. C’est d’ailleurs la stricte transposition des règles qui existent aujourd’hui dans le cadre des sociétés de commerciales «classiques» dans lesquelles les associés doivent s’entendre sur les conditions de départ de celui qui souhaite se retirer.
La pratique a donc amené les praticiens du droit des sociétés à anticiper les conflits et prévoir des règles de
«sortie» dans le cadre de pacte d’associés de plus en plus sophistiqués et dans lesquels la valorisation des parts ou actions est envisagée.
Le législateur a repris le principe pour consacrer cette possibilité dans les sociétés commerciales et les sociétés d’exercice libéral d’avocats puisque l’article 10 de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, précise que :
«Pour l’application des articles L. 223-14 N° Lexbase : L3178DYD ) et L. 228-24 N° Lexbase : L8379GQE) du Code de commerce et par exception à l’article 1843-4 du Code civil (N° Lexbase : L8956I34), les statuts peuvent, à l’unanimité des associés, fixer les principes et les modalités applicables à la détermination de la valeur des parts sociales.
Sauf dispositions contraires du décret particulier à chaque profession, la valeur des parts sociales prend en considération une valeur représentative de la clientèle civile. Toutefois, à l’unanimité des associés, les statuts peuvent exclure cette valeur représentative de la clientèle civile de la valorisation des parts sociales».
Pour justifier leur décision, les premiers juges avaient retenus les principes de liberté d’exercice et d’établissement.
Dans notre arrêt ce que rappelle la Cour de Cassation est simplement la règle élémentaire qui précise qu’en matière contractuelle hors le cas de dispositions d’ordre public, le juge ne peut se substituer aux parties en palliant à leurs défaillances. En effet, en l’absence de dispositions statutaires ou extrastatutaires prévoyant le retrait, les parties doivent se mettre d’accord sur les conditions de sortie de l’associé qui en exprime le souhait.
Cela étant, il est intéressant de noter que les arguments retenus par le délégué du Bâtonnier et la cour d’appel ne pourraient très probablement plus prospérer sous cette même forme. En effet, à l’époque et c’est très certainement ce qui avait motivé la décision des premiers juges, l’associée ne pouvait exercer en dehors de sa structure et le conflit entre associés, l’empêchait de pouvoir s’installer ailleurs.
Aujourd’hui avec la suppression de l’unicité d’exercice, dont on rappelle qu’il s’agit du principe selon lequel un avocat ne pouvait exercer que sous une seule forme , les faits de l’espèce se présenteraient certainement de façon différente. Depuis la réforme et encore une fois sauf dispositions statutaires contraires, les associés d’une société peuvent cumuler plusieurs exercices . C’est-à-dire qu’un avocat pourra être associé et exercer dans plusieurs cabinets ou cumuler exercice individuel et exercice en société. C’est en ce sens que nous pensons que les arguments tirés de la liberté d’installation et d’exercice ne pourront probablement plus prospérer sous cette forme.
Néanmoins, l’hypothèse reprise en l’espèce d’associés qui se déchirent autour de la valorisation de leurs titres est classique et à l’origine de nombreux conflits. C’est la raison pour laquelle l’on ne saurait trop insister sur l’importance de prévoir des clauses envisageant la valorisation des titres de l’associé «retrayant».
Comme évoqué ci-avant, ces clauses devront tenir compte des conditions de sortie de l’associé et bien sûr des situations particulières liées à chaque structure. Les associés d’un cabinet qui viendra de faire l’acquisition de locaux ou d’une clientèle, contractant par là même un emprunt, mèneront opportunément une réflexion sur la valorisation des titres intégrant cette donnée. Il existe de nombreuses formules mathématiques sur lesquelles chacun devra se pencher, l’idée générale étant de prévenir les conflits.
Source : Lexbase avocats n°277 du 10 janvier 2019 : Avocats/Statut social et fiscal